23/04/2025 ssofidelis.substack.com  9min #275816

 La Chine impose 34% de droits de douane sur les importations américaines

L'esprit Shanghai : non, les États-Unis n'intimideront pas la Chine

Par  Pepe Escobar, le 21 avril 2025

SHANGHAI - Il n'y a pas d'endroit plus stratégique que Shanghai, capitale commerciale et culturelle de la Chine, pour passer ces derniers jours mouvementés marqués par la guerre tarifaire déclenchée par Trump (TTT).

Du haut de la tour Jin Mao, dans le quartier financier ultra-moderne de Lujiazui, à Pudong, élégant et discret édifice Art déco qui côtoie le World Financial Center, gratte-ciel emblématique de la puissance économique chinoise, on pourrait croire que le Bund et ses environs font rayonner à l'infini la volonté de contrer l'absurdité et l'idiotie de l'"empereur des droits de douane", implacablement raillé sur une myriade de réseaux sociaux chinois.

J'ai eu le privilège d'être conduit du Bund Financial Center, qui abrite entre autres la Fondation Fosun, un chef-d'œuvre architectural inspiré du bambou, à la China Academy, située sur le campus impeccable de l'université Fudan, où j'ai participé à un séminaire avec le professeur de renom Zhang Weiwei et à une table ronde avec les meilleurs doctorants de plusieurs disciplines. Le professeur Zhang Weiwei est le principal conceptualisateur de la Chine en tant qu'État-civilisation.

Le thème principal de notre séminaire portait sur le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine, mais l'attention s'est inévitablement portée sur les motivations de "l'empereur des droits de douane". Les questions des étudiants étaient très pertinentes. À cela s'est ajoutée une interview approfondie pour la China Academy, menée par sa formidable directrice générale, Pan Xiaoli.

Une visite au siège de  Guancha, le premier site indépendant d'information et d'analyse en Chine, dont les différentes chaînes sur plusieurs plateformes atteignent le chiffre impressionnant de 200 millions de personnes, ne pouvait pas mieux tomber. Guo Jiezhen, chercheur au China Institute, qui participait à notre table ronde à l'université Fudan, a présenté l'une des analyses les plus perspicaces de ce qu'il décrit comme la  "technique démente de Trump pour gagner de l'argent".

Lors de notre rencontre avec le nouveau rédacteur en chef de Guancha, He Shenquan, et de nos discussions avec Kelly Liu, spécialiste ultra-compétente en relations internationales, et Yang Hanyi, responsable de la communication du China Institute, nous avons regardé ensemble un  podcast exceptionnel mettant à l'honneur le colonel Wang Lihua de l'APL, Gao Zhikai, directeur adjoint du Center for China and Globalization (CCG), et Li Bo, président du Shanghai Chunqiu Development Strategy Institute, toujours incontournable.

C'est alors que la formule légendaire de Mao Zedong des années 1960 qualifiant les États-Unis de "tigre de papier" - reprise partout, des slogans de la guérilla latino-américaine aux films de Godard - a refait surface en force.

Wang Lihua a repris ce que le président Xi a dit à Poutine lors de leur rencontre historique au Kremlin il y a deux ans : nous sommes en plein cœur du changement le plus radical depuis 100 ans.

Selon Wang, "Cette évolution ne peut s'opérer d'un seul coup, et la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis ne sera pas résolue une fois pour toutes. Ce type de tensions et de luttes, selon les termes du président Mao, consiste à 'semer le trouble, échouer, recommencer, échouer encore, jusqu'à la destruction'".

Wang a conclu par ce qui résume sans doute le sentiment général en Chine, perceptible aux quatre coins de Shanghai :

"Il sera difficile pour les États-Unis de se réparer de l'intérieur. Aujourd'hui, les États-Unis doivent faire face à la Chine et au monde entier, et leur force est manifestement insuffisante, l'échec est donc inévitable. Nous ne craignons pas une guerre de longue haleine, car le temps joue en notre faveur".

La Chine "n'a pas peur de la guerre", quelle que soit la forme qu'elle puisse prendre, hybride ou ouverte, tel est le sentiment général à Shanghai, inspiré du concept maoïste de "front uni", partagé par les universitaires, les chefs d'entreprise et les habitants des "quartiers modèles" de l'ère maoïste, encore impeccablement préservés, mais avec un œil tourné vers l'innovation (exemple : des rangées de prises électriques pour recharger les nombreux vélos électriques garés dans les cours intérieures).

Riposte du "tigre de papier"

Participer à des dîners d'affaires avec des cadres et des commerciaux venus de plusieurs provinces chinoises a été extrêmement enrichissant, que ce soit dans la superbe Pei Mansion, l'un des plus beaux bâtiments du début du XXe siècle à Shanghai, où le célèbre architecte I.M. Pei a vécu pendant un an, ou dans le meilleur restaurant de Xinjiang de la ville, Ali Yang, situé dans le World Financial Center, où l'on peut déguster un repas complet à base d'agneau ouïghour.

Toutes les conversations et tous les débats tournaient autour d'une constante : il ne faut se faire aucune illusion sur la stratégie fluctuante de Trump 2.0, ni sur la manière dont elle pourrait être retournée contre lui, à la manière de Sun Tzu. La Chine doit se constituer un solide arsenal de moyens de pression. Et surtout, depuis le début, il s'agit d'une guerre menée par une élite des classes dirigeantes américaines contre la Chine. Le reste du monde n'est qu'un faire-valoir.

Il n'est donc pas étonnant qu'à chaque dîner d'affaires, après un festin gastronomique sans pareil, la conversation ait rapidement dérivé sur la stratégie de la Chine, qui ne consistera pas à limiter les dégâts immédiats, et sur la façon dont elle cherche déjà de nouveaux liens et de nouveaux points d'ancrage pour renforcer sa compétitivité mondiale à long terme.

La question est de savoir si Trump 2.0 et son équipe de sinophobes parviendront à empêcher l'émergence d'une alliance stratégique de la Majorité Mondiale contre l'Empire du Chaos.

À Shanghai, comme dans toute la Chine, la soumission n'est tout simplement pas envisageable. Sur le plan culturel, Trump a réussi à s'aliéner 1,4 milliard de Chinois en traitant sans respect cet État-civilisation. Et s'il y a bien une chose qui irrite les Chinois, c'est d'être maltraités (voir, par exemple, le "siècle d'humiliation").

Une guerre commerciale totale ? Un découplage profond ? Qu'ils essaient donc !

L'"empereur des droits de douane" a durement frappé les chaînes d'approvisionnement de l'Asie du Sud-Est, notamment le Vietnam, le Cambodge, le Laos et le Myanmar. Pour les dix pays de l'ASEAN, la Chine est le principal partenaire commercial. Les investissements directs étrangers chinois sont très importants au Cambodge et au Myanmar, pays encore en proie aux tensions après le tremblement de terre. Il ne fait aucun doute que l'ASEAN aura à agir de manière "stratégiquement multilatérale".

La visite opportune du président Xi au Vietnam, au Cambodge et en Malaisie donne déjà le ton, corroboré par le ministre des Affaires étrangères Wang Yi :

"L'Asie du Sud-Est est parvenue à un consensus : nous resterons unis et dirons non à ces mesure arriérées et régressives".

La "Trump Tariff Tizzy" (TTT) est une guerre contre les BRICS et l'ASEAN - et contre la présence croissante de l'ASEAN au sein des BRICS, en tant que membre à part entière (Indonésie) et partenaire (Malaisie, Thaïlande, Vietnam). Les intellectuels chinois de premier plan en sont pleinement conscients. Trump, pour sa part, compte tenu de son bilan, ne sait même pas ce que sont réellement les BRICS et l'ASEAN.

Lors des réunions préparatoires des sommets des BRICS qui se sont tenues début juillet à Rio, on a déjà pu observer une mobilisation sérieuse pour contrer le "protectionnisme sans précédent" de la guerre commerciale menée par Trump, comme l'a formulé le ministère brésilien de l'Agriculture. Trump a déjà brandi sa menace habituelle : des droits de douane de 150 % sur les produits des pays membres des BRICS. La Chine, membre éminent des BRICS,  ne se laissera pas intimider.

Une mobilisation intense pour forger un consensus mondial contre l'intimidation

Pendant ce temps, à Pékin, en tandem avec toute la frénésie intellectuelle qui règne à Shanghai, Jensen Huang, le PDG de Nvidia, vêtu d'un costume (il préfère les vestes en cuir) en signe de respect et s'exprimant en anglais (même s'il est né à Taïwan), s'est entretenu avec Ren Hongbin, président du Conseil chinois pour la promotion du commerce international (CCPIT).

Voici donc le PDG multimilliardaire d'un géant américain des puces électroniques qui déclare en personne au gouvernement chinois que son entreprise reste totalement engagée sur le marché chinois, malgré les restrictions strictes imposées par Trump 2.0 sur les exportations de puces pour l'IA.

Un nouveau livre, The Thinking Machine: Jensen Huang, Nvidia, and the World's Most Coveted Microchip, s'impose pour comprendre la pensée de Jensen Huang. C'est un immigrant asiatique issu d'un milieu pauvre, qui incarne le rêve américain à l'ancienne, ne se laisse pas marcher sur les pieds et est hypercompétitif. Huang est pleinement conscient que Nvidia ne peut tout simplement pas se permettre de perdre le marché chinois. De plus, il sait qu'avant 2030, les ingénieurs chinois commercialiseront leur propre puce graphique et pourraient bien mettre Nvidia hors jeu.

De retour à Shanghai, en décollant de l'aéroport de Pudong, j'avais bien compris pourquoi le trafic aérien chinois a atteint un niveau record au premier trimestre 2025, malgré un climat de "crise" et une concurrence féroce, notamment celle des trains à grande vitesse. Ajoutez à cela le tsunami humain qui envahit Nanjing Road le vendredi soir, nécessitant la présence de nombreux policiers militaires pour discipliner la foule des deux côtés de la zone piétonne.

Crise de la consommation ? Quelle crise ? Parallèlement, de l'autre côté du Pacifique, Taobao occupe désormais la deuxième place (et continue de progresser) sur l'App Store d'Apple aux États-Unis. Tout le monde est impatient non seulement de découvrir les vidéos virales de TikTok, mais aussi de se lancer dans une frénésie d'achats illimitée de produits fabriqués en Chine à des prix abordables.

Sur le front militaire, la Chine vient de mettre au point une bombe à hydrogène non nucléaire. Pas d'uranium, pas de plutonium. Juste une solution chimique et technique sans pareille. Les empires en déclin qui mènent des guerres par procuration appartiennent au siècle dernier. La nouvelle bombe chinoise ne pèse que 2 kg, a une durée de vie quinze fois supérieure à celle du TNT et produit une boule de feu dépassant les 1 000 °C.

La principale leçon à tirer de ces journées mouvementées à Shanghai pourrait être que la Chine est désormais fermement et stratégiquement déterminée à occuper le haut du pavé moral partout dans le monde.

La frénésie douanière de Trump (TTT) n'améliorera peut-être pas le déficit commercial américain, mais ce qui est clair, c'est qu'elle a déjà fait imploser la crédibilité américaine.

De plus, la priorité absolue de la Chine va bien au-delà du commerce mondial : tous ceux qui connaissent la pensée de Xi Jinping savent qu'il s'agit avant tout de parvenir à la "modernisation nationale", à l'unification et à la création, avec des partenaires sur tous les continents, d'une "communauté d'avenir partagé".

Sur le plan géopolitique et géoéconomique, voici donc la feuille de route pour l'avenir : Shanghai démontre que la Chine savoure son nouveau rôle de phare de la Résistance, déterminée à défier l'intimidation et à établir un consensus au sein de la Majorité Mondiale. Tout est question de patience stratégique, ce dont l'Empire chaotique et hors de contrôle est tout simplement dépourvu.

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